La Tortilla Hirsute.


par
Lina Goudjil & Rémy Drouard
Vendredi 3 février, 10h – 14h

Là, c’est une rencontre. Une rencontre entre Chlitah et Tortilla. Une rencontre entre Rémy et Lina, entre deux grand-mères aussi.Rémy dit : « C’est une galette ? C’est une omelette ? C’est une sorte de crêpe ? Une truffade rondelette ? Rien de tout ça cabeza tontita c’est une tortilla ! Si tu veux, je peux…

Patate tu fais quoi ?

6 o 7 patatas
7 hevos
1 o 2 cebollas
hajo o no
mucho aceite de oliva
sal
pimienta negra
ingredientes misteriosos

Historia de Tortilla

Elle a voyagé cette recette pour arriver ici à Paradise dans l’école Hirsutes.
Elle vient de Peñaparda petite commune de la province de Salamanque ( Salamanca )
dans la communauté autonome de Castilla-y-León en Espagne, là-bas entre deux gros
cailloux, des ruisseaux et des champs on y parle un patois, el rebollar. C’est là-bas que
mon Abuela, ma grand-mère, Petra Benito Lozano Martin faisait cette sorte de galette
jaune peu onéreuse à base de pomme de terre pour le déjeuner aux champs lorsqu’elle et
son chien Tremendo gardaient les moutons, les vaches et les chèvres qui appartenaient
à son grand-père. Elle était bergère comme ses soeurs. Malheureusement fin des années
50 dans cette région d’Espagne la vie n’est pas simple et l’argent vient à manquer, cela
pousse les deux sœurs ainées de mon Abuela ainsi que leurs maris à partir en France car
elles ont réussi à dégoter un contrat de travail pour devenir bûcherons dans les forêts de
Lorraine. Travail pénible que les agriculteurs lorrains d’après-guerre laissaient volontiers
aux étrangers. Ce contrat, elles l’ont envoyé à mon Abuela qui décide de vendre les
troupeaux et le 21 octobre 1961 elle se marie avec mon Abuelo, mon grand-père, Gregorio
Benito afin de pouvoir passer, ensemble, la frontière française tortilla sous le bras le 29
octobre 1961. Direction Viterne, un petit village dans l’Est afin d’abattre du bois, un travail
difficile mais abondant. C’est ainsi que notre fameuse recette apparaît les midis dans
les bois de Meurthe-et-Moselle. Cette recette devient un classique de la famille Benito,
ma maman Maria Isabelle Benito l’apprendra à son mari Dominique Drouard puis à ses
enfants. Car à l’âge de mes 18 ans je reçois de mon Abuela ma première ‘‘ sarten ’’ ma
première poêle à tortilla ainsi que la recette originelle. Je suis dès lors en Auvergne pour
mes études et de temps en temps à la cafétéria des beaux-arts de Clermont-Ferrand
on peut sentir, le midi, une odeur de tortilla. Puis je l’ai emporté à Lyon où je la partage
volontiers en toutes saisons pour les apéros entre amis. Et aujourd’hui je suis Nantais d’un
an déjà, je vais vous transmettre la recette que l’on m’a légué afin de pouvoir partager un
moment convivial et faire partie un peu du voyage.

Abuela transmettant. Fait-elle un Transmétier ?
Sur cette photo de gauche à droite : Marie-Isabelle Drouard Benito, Lydie Drouard, Dominique Drouard et Petra Benito.
Recette non contractuelle.

La cuisine, un savoir-faire
revendicatif!

Ce qui m’avait frappée était que ma grand-mère n’utilisait pas de planche à découper. Elle taillait les légumes directement au creux de sa main, dont les doigts épaissis, usés et ridés par le temps gardaient toute leur agilité. Elle m’énonçait vaguement à voix haute, la liste des ingrédients utilisés ou l’ordre de préparation mais moi, avide de perfection et de savoir, ne cessais de poser des questions dont les réponses étaient directement annotées sur un papier,
précieux parchemin contenant mon secret ancestral.
J’avais la sensation d’apprendre les formules d’un sortilège, la recette d’une potion magique et d’être la nouvelle détentrice d’un trésor unique.
Malgré l’évolution de la place de la femme dans les sociétés française et algérienne, la tâche de la cuisine continue d’incomber principalement aux femmes. Mais le temps de préparation passé dans l’espace de la cuisine devient donc un moment particulier : un instant de partage, d’échange, de transmission intergénérationnelle familiale et féminine ; un lieu intimement convivial devenu le générateur de conversations aux sujets multiples.
La jeunesse issue de l’immigration possède un passé et une histoire qui lui échappent, la dépassent, lui sont inconnus ou incompréhensibles. Tendre à apprendre et comprendre passait pour moi par l’apprentissage de ce couscous.
Une partie d’elle reste là-bas et sa façon de la réintroduire ici passe par la pratique culinaire.
C’est l’histoire d’une culture, d’un savoir-faire archaïque mais éternel et que j’accepte, en tant que jeune femme et petite-fille d’immigrés, comme un cadeau.
Aujourd’hui, cette passation avait lieu dans la cuisine d’un appartement dans le XXe arrondissement de Paris. En portant la cuillère à ma bouche, j’ai pensé : « sa cuisine, c’est mon héritage ».
Il me paraissait évident que nos échanges s’articulent autour de plats ou de gâteaux, comme la volonté positive et généreuse de me partager une partie ’un pays que je connais si peu et dont la découverte passe aussi par le goût et les odeurs. Car la dualité franco-algérienne qui m’habite m’interroge et m’intrigue.
Ces dynamiques sont complexes leurs composantes se façonnent de manière fragmentaires, fluctuantes et ambigües.
Pour les nouvelles générations des questionnements persistent et cette quête d’identité est marquée par un besoin d’exprimer une singularité nodale et complexe tout en cherchant sa place dans la société .
Extrait de RÊVES LIBRES, Lina Goudjil, 2021


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